Table des matières

Description

Définition

Particularité valaisanne et témoins d’une véritable épopée sociale du Valais, les bisses ont été construits entre le XIIIème et le XXème siècle. Jusqu’au XXème siècle il y en avait 200 en exploitation ce qui représentait 1800 à 2000 km de canaux d’irrigation.

De façon générale on peut dire que les bisses sont des canaux d’irrigation de 5 à 10 km de long prenant leur eau d’un torrent ou d’une rivière au fond d’une vallée latérale issue de la fonte des glaciers. Leur fonction est de fournir en eau différentes cultures, vergers, vignobles ou prairies pour le fourrage.

En Suisse, les bisses se trouvent majoritairement en Valais. La plupart des bisses sont des ouvrages de 5 à 20 km de long, Le plus long est celui de Saxon qui a une longueur de 28 km. Le plus récent est le bisse du Trient construit en 1895 et rénové en 1986.

Depuis le Moyen-Âge, les habitants du Valais ont cherché à capter l’eau des torrents depuis les hautes vallées pour irriguer les versants ensoleillés situés en contrebas. Ils ont aménagé des bisses spectaculaires dont certains dans des régions très escarpées à l’aide de pierre et de bois (bisse de Savièse (Torrent Neuf), bisse du Roh).

Les bisses sont appelés aussi Raye dans le Val de Bagne ou Suonen (Weisserleiter) dans le Haut-Valais. On note que la majorité des bisses sont localisés dans le Haut-Valais et le Valais central. On en trouve très peu dans le Bas-Valais car la région était assez riche en eau et ne nécessitait pas la construction de canaux d’irrigation.

 Fonctions actuelles des bisses :

 Agricole : irrigation des cultures : céréales, vignes, vergers et prairies.

Touristique : Randonnées

Environnementale : Biodiversité

Patrimoniale : Matérielle et immatérielle

Gestion des ressources en eau. (UNESCO)

 Les bisses ont encore actuellement pour fonction première l’irrigation (80% des bisses) et de nombreux bisses sont maintenus et rénovés pour le tourisme (sur 190 bisses répertoriés 165 conservent une fonction agricole, 71 d’entre eux ayant en parallèle une fonction touristique).

On trouve aussi ce système d’irrigation de montagne dans plusieurs régions montagneuses de l’Himalaya aux Andes en passant par les alpes et l’Atlas. Les Levadas, bien connus à Madère, sont aussi des canaux d’irrigation qui transportent l’eau du nord au sud de l’île et ont permis à Madère de devenir un grand producteur de sucre et de développer son tourisme.

Au Pakistan, dans le désert vertical, région très aride, les canaux d’irrigation ont été construits pour pallier au manque d’eau par le programme de soutien Aga Khan (AKRSP). Ce programme a permis d’aider les communautés rurales à construire 1500 canaux d’irrigation, permettant ainsi à 120'000 foyers d’avoir accès à l’eau potable et à des terres arables.

Mais le changement climatique va poser un grand problème à toutes ces régions dépendantes des systèmes d’irrigation par canaux, Valais compris, à cause de la disparition des glaciers, et du manque d’eau

Distribution de l’eau

En Valais la répartition de l’eau se fait par une réglementation stricte des systèmes de consortages ou par des organisations communautaires. La forme juridique la plus courante est le consortage. Des règlements précis fixent les devoirs et les obligations des consorts et des responsables comme par exemple l'entretien des bisses, la mise en eau et la répartition des temps d'arrosage.

En Valais, les consortages se sont développés sur le modèle des corporations paysannes du Moyen Âge. Des siècles durant, les consortages ont organisé la vie économique paysanne du Valais, au moyen de manuels de droits et d’ordonnances. Ils réglementaient, en particulier, l’usage des biens communs tels que l’eau, les forêts ou les alpages et étaient responsables de la construction ainsi que de l’entretien des infrastructures communes comme les bisses, les chemins, les aménagements d’alpage ou encore les fours à pain.

Le modèle pour les bisses est un système d’ayant-droit qui pratique l’irrigation par tour d’eau successif. Les consortages des bisses ont émergé en Valais durant le Moyen-Âge et ont poursuivi leur activité sans relâche jusqu’à faire partie du terroir et de l’imaginaire valaisan. Le Valais central, région au centre du système des bisses, est composé de 30 consortages de bisses recensés, le haut-Valais en comporte 47.

Ce système d’irrigation d’eau traditionnelle a fait l’objet d’une candidature internationale à l’inscription au patrimoine immatériel des techniques d’irrigation traditionnelle. Cette candidature regroupe 7 pays dont la suisse pour figurer au patrimoine culturel mondial de l’UNESCO.

Depuis leur apparition, les consortages ont toujours évolué avec des changements particuliers selon les régions et les époques mais sont en grande partie toujours en fonction. Les consortages des bisses sont composés d’agriculteurs, des membres du comité et dans certains cas des gardes du bisse. Leur fonction est l’entretien des canaux, la distribution de l’eau aux différents acteurs, la gestion de l’eau aux ayant-droit ainsi que la comptabilité, l’entretien des sentiers pédestres qui longent les bisses, et l’entretien des réseaux secondaires et tertiaires. Les consortages sont souvent liés avec les communes et les bourgeoisies pour leur financement et bénéficient aussi de l’aide d’associations privées ou coopératives.

Historique des bisses

Toute la vie du Valais est liée à l’irrigation

Aux XIVème et XVème siècle il y eut une baisse de la culture céréalière due à une diminution démographique. Ce changement donna lieu au passage d’une agriculture de subsistance à une exploitation commerciale de la terre pour le fourrage des bêtes et provoqua le développement de la construction du réseau des bisses tels que :

Le grand bisse de Vercorin, le bisse du Rho (Crans-Montana), le Torrent Neuf de Savièse, le bisse d’Ayent et le grand bisse de Vex.

Cependant, à partir de 1930, un nombre important de bisses seront mis hors service avec la modernisation du réseau et le bouleversement économique de cette époque. La modernisation du réseau, avec la construction de tunnels percés  ont provoqué le démantèlement des bisses, et a sonné le glas pour des bisses spectaculaires comme le bisse de Lens et le bisse de Savièse (Torrent Neuf) qui étaient accrochés à la paroi. Les bouleversements socio-économiques de l’époque sont à l’origine de la baisse du nombre de bisses fonctionnels et l’assainissement de la plaine du Rhône de 1863 à 1956 a permis le développement d’une agriculture intensive en plaine.

Depuis 1980, on assiste toutefois à une renaissance des bisses qui prennent une valeur patrimoniale autant que touristique. Le bisse devient multifonctionnel entre l’agriculture, la culture et le tourisme.

Le tourisme, qui dans certaines vallées se réduisait à une activité hivernale, se développe aussi en été, favorisant un tourisme de randonnées proches de la nature. Cela s’est concrétisé par des remises en eau du bisse de Vex en 1989, du Trient en 1986 et du Tsa-Creta en 2002.

Certains bisses sont élevés au rang d’ouvrage d’art comme les bisses d’Ayent et de Savièse (Torrent Neuf) et un rapport a été déposé pour classer certains bisses valaisans au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le mode de gestion des bisses est-il un modèle durable ?

Les bisses ont un impact positif au niveau de la biodiversité grâce à leurs canaux à ciels ouverts et à travers les pertes en eau et l’irrigation gravitaire qui y est liée.

La mise en place de l’organisation des réseaux des bisses nécessite une compréhension détaillée du paysage agricole, de l’irrigation des prairies pour l’élevage à l’irrigation des vignes et des jardins (multifonctionalité).

Le consortage organise les manœuvres d’entretien et la répartition de l’eau des bisses au printemps. Il existe des heures réservées et demandées par les consorts pour les tours d’arrosage provenant de l’eau des bisses selon leurs droits et le nombre d’heure que chacun possède par héritage ou selon le registre tenu à jour. Les répartiteurs surveillent la répartition des eaux. Plus les usages d’une ressource (l’eau) sont régulés de manière étendue et cohérente, plus les conditions de son exploitation peuvent être régulées durablement.

On peut qualifier le mode de gestion des bisses de durable pour différentes raisons :

  • Encore de nos jours les bisses se révèlent indispensables à l’agriculture

  • Ils ont un impact positif sur la biodiversité grâce à leurs canaux à ciel ouvert, à travers les pertes en eau et l’irrigation gravitaire qui y est liée

  • La réglementation stricte autour de la distribution de l’eau par des systèmes de consortages ou communautés évite le gaspillage de l’eau


Les bisses et le futur

Il y a trois ressources à prendre en considération dans le système des bisses : l’eau, le sol et les bisses.

Description de la situation en 2010

Auparavant, la construction des bisses a été faite par la main de l’homme et comprenait toute l’installation d’amenée d’eau d’irrigation exploitée de façon communautaire. Du glacier à la plaine, la construction des bisses a atteint des sommets d’ingéniosité technique pour étancher et optimiser le trajet de l’eau à travers champs, forêts et montagnes. Les éléments mis en œuvre les plus spectaculaires sont les techniques du bois et de la pierre (voir Fig.1). Les canaux sont soit creusés à flanc de coteau, soit creusés dans la roche, soit suspendus à des parois rocheuses ; il s’agit dans ce dernier cas de canaux métalliques ou en bois sur pilotis (voir Fig 1).



 

 

 

 

Fig 1. Différents systèmes de construction des bisses valaisans- Source : Musée des bisses. Fig. 1 (1, 2 et 3): bisses creusés dans la roche. Fig. 2 (4, 5 et 6): bisses suspendus 

Pour améliorer l’usage des bisses de façon efficace il faut attribuer de nouveaux droits d’usage et les attribuer à des acteurs usagers tels que les milieux associatifs de protection de la nature, du paysage et de l’environnement ainsi que la promotion touristique. Établir des bases solides pour les travaux appelés « water channels » qui ont déjà été définis dans le programme de Recherche National (FNS61), gestion durable de l’eau.

Les bisses sont insérés dans un système d’irrigation incluant la rivière ou le torrent nival, pluvial, ou le lac permettant le stockage temporaire de l’eau et la récupération des eaux non utilisées.

Cela comprend la prise d’eau, les dessableurs, les installations de stockage de l’eau, les canaux de transport, les répartiteurs et les canaux de décharge servant au réacheminement de l’eau dans le réseau hydrographique.

 Contingence historique et socio-économique qui entoure les bisses

Le nombre de bisses fonctionnels a baissé au cours des XIXème et XXème siècles. Depuis 1980, on assiste toutefois à une renaissance des bisses qui endossent une valeur patrimoniale autant que touristique. Le bisse devient multifonctionnel entre l’agriculture, la culture et le tourisme.

Le tourisme, qui dans certaines vallées se réduisait à une activité hivernale, se développe aussi en été, favorisant un tourisme de randonnées proches de la nature. Cela s’est concrétisé par des remises en eau du bisse de Vex en 1989, du Trient en 1986 et du Tsa-Creta en 2002. On assiste aussi aux efforts de restauration et de protection des ouvrages préservés (bisse d’Ayent et bisse du Torrent Neuf Savièse), à l’installation de panneaux didactiques (bisse de Tsittoret, bisse du Rho, bisse de la Tsandra …) et à la création du musée des bisses à Ayent. De nos jours, un grand effort est fourni au niveau médiatique.  Chaque bisse a une page internet qui comprend sa localisation, un résumé de son histoire avec sa date de construction accompagné de photos. Il est possible de partir en randonnée sur plusieurs bisses à travers le Valais en collaboration avec Valrando.

Certains bisses sont élevés au rang d’ouvrage d’art comme le bisse d’Ayent et le bisse de Savièse et un rapport a été déposé pour classer certains bisses valaisans au patrimoine mondial de l’UNESCO (2016).

Si les bisses valaisans ont gardé leur fonctionnalité, c’est aussi qu’ils remplissent de nouvelles tâches dans le contexte actuel. Ils permettent de réguler les débits des torrents lors de pluies extrêmes. Avec les changements climatiques et l’intensité des pluies, certains bisses sont utilisés de nos jours comme « réservoirs » d’eau pour la lutte contre les incendies de forêt et récupérateur d’eau.

De nos jours, les bisses se révèlent encore indispensables à l’agriculture valaisanne. 80% des bisses en fonction servent à l’irrigation et 80% des vignobles sont irrigués par l’eau des bisses. On peut dire qu’ils jouent encore un rôle important dans l’économie agricole actuelle.

Avec le changement climatique et la fonte des glaciers, les ressources hydriques des milieux alpins amènent des défis sur la disponibilité de l’eau pour les générations futures. Les bisses et le système d’irrigation à travers les consortages deviennent une source d’inspiration dans une perspective de développement durable pour une répartition efficace de l’eau.

 Conclusion

Outre le rôle fondamental que jouent les bisses dans l’agriculture traditionnelle et moderne, la nature et le paysage, ils constituent un élément fort du patrimoine socio-culturel valaisan.

Vu leur importance, les bisses doivent être préservés et restaurés si nécessaire.

L’illustration la plus nette de la reconnaissance des bisses comme élément patrimonial provient de l’inventaire des bisses de 1993 basée sur la planification cantonale et remis à jour en 1998, 2002 et 2018.

Les bisses ont été classés en fonction de leur valeur propre (ancienneté, architecture, caractéristiques techniques) et externe (agriculture, tourisme, paysage). Ils sont définis par leur importance cantonale, régionale et locale.

Sur cette base ont été établis les principes à respecter pour éviter leur abandon ou leur dégradation. Ceux-ci ont été fixés au niveau du plan directeur cantonal. (Schwery 1995 :181 , Schweizer 2010 :20).

Emmanuelle Roulet, février 2024

 

 

 

 

 

 

 

Littérature

Musée des bisses du Valais à Ayent

Liens